"Super Mario" pourra-t-il sauver l'Italie ?
Pourquoi une partie de notre avenir se joue de l'autre côté des Alpes
Pour ma première publication sur Substack, je vous propose un petit voyage de l'autre côté des Alpes, car je pense que nous n’avons pas pris conscience de la gravité de la situation italienne. À mon sens, l’avenir de la zone euro pourrait bien dépendre de la capacité de l’Italie à se redresser économiquement au cours des prochaines années.
L’homme malade de l’Europe
Depuis le milieu des années 2000, l’Italie connaît une véritable “panne de croissance”.
La stagnation du PIB par habitant de l’Italie a progressivement conduit à un décrochage du niveau de vie de sa population.
Alors que les niveaux de richesse par habitant de l’Allemagne et de l’Italie étaient comparables jusqu’au milieu des années 2000, un écart de plus de 20 % s’est creusé entre les deux pays. Plus surprenant encore : d’après les prévisions du FMI, le niveau de vie de certains États d’Europe de l’Est comme la Pologne pourrait bientôt dépasser celui de l’Italie.
Sans croissance, le sérieux budgétaire ne suffit pas pour maîtriser l’endettement
Le problème, c’est que lorsqu’un pays est en “panne” de croissance, il devient très difficile de contenir le poids de sa dette publique.
Pour le comprendre, un petit détour par l’arithmétique de l’endettement s’impose.
D’une année sur l’autre, l’évolution du taux d’endettement en % du PIB dépend de deux principaux facteurs :
le solde primaire, qui correspond à la différence entre les recettes publiques et les dépenses publiques, hors charge de la dette ;
l’effet “boule de neige”, qui est égal au différentiel entre le taux d’intérêt moyen payé sur sa dette et la croissance nominale (i - c), multiplé par le taux d’endettement initial.
Si la croissance est inférieure au taux d’intérêt moyen payé sur sa dette, l’endettement “augmente tout seul”, même si le solde primaire est à l’équilibre. Par exemple, avec une dette initiale de 160 % du PIB, un taux de croissance inférieur de 2 points au taux d’intérêt moyen payé sur la dette publique conduit mécaniquement à une hausse de 160*2% = 3,2 points de PIB de l’endettement chaque année.
C’est précisément à cette difficulté qu’est confrontée depuis 30 ans l’Italie !
En effet, contrairement à ce que l’on pense, les italiens ont fait preuve d’un sérieux budgétaire remarquable : hors charge de la dette, les recettes publiques ont été largement supérieures aux dépenses, ce qui a systématiquement permis de dégager un excédent primaire. Même les allemands n’ont pas fait mieux !
Et je ne parle même pas de la France, qui est systématiquement en déficit primaire depuis son accession à l’euro. Pour vous donner une idée, il aurait été nécessaire de dépenser 60 milliards d’euros de moins pour avoir un solde primaire comparable à celui de l’Italie sur la période 2015-2019.
Mais faute de croissance, ce sérieux budgétaire italien a seulement permis de contenir la hausse de l’endettement lié à l’effet “boule de neige” (snowball effect), comme l’illustre cette décomposition de l’excellent @paldama.
De ce fait, la dette italienne atteignait déjà 135 % du PIB avant la crise sanitaire, qui devrait la porter à 160 % du PIB en 2020, d’après les dernières prévisions de la Commission européenne.
L’Italie se trouve donc dans une impasse économique et budgétaire, qui n’est sans doute pas étrangère au vote populiste qui s’est exprimé lors des élections générales de 2018. Comment le reprocher aux italiens, qui ne voient toujours pas le fruit des efforts entrepris depuis près de trois décennies ?
Too big to fail ?
Le souci, c’est que si jamais la soutenabilité de la dette publique italienne venait un jour à être sérieusement mise en cause ou si l’Italie décidait de quitter la zone euro, c’est toute l’Europe qui serait menacée.
En effet, la dette publique italienne est sans doute trop grosse (20 % du PIB de l’UE) pour que le pays puisse faire l’objet d’un sauvetage “à la grecque”.
La dette italienne représente ainsi plus de six fois la capacité de prêt maximale du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui a été mis en place pour venir en aide aux États confrontés à des difficultés de financement pendant la crise de la zone euro.
La restructuration ne ferait que déplacer le problème, car les banques italiennes ont fortement investi (433 milliards d’euros en novembre 2020) dans les titres publics italiens. Pour le système financier du reste de la zone euro, les répercussions seraient également massives - en particulier en France, où certains acteurs sont très exposés au risque italien.
Le risque de dérapage est pourtant bien réel. Tout le monde garde en mémoire la période qui avait suivi les élections de 2018, lorsque le coût de financement de l’Italie à dix ans était brutalement passé de 1,8 % à 3,4 % en six mois.
Bref, alors que l’Italie est durement frappée par la crise sanitaire, personne n’a intérêt à ce que la situation ne dégénère.
Surtout qu’avec la baisse structurelle des taux d’intérêt, un peu de croissance serait suffisant pour assurer la soutenabilité de la dette italienne à moyen terme.
Un “plan Marshall” pour l’Italie
Dans ce contexte, l’accord trouvé au Conseil européen de juillet dernier sur le plan de relance européen pourrait constituer un véritable “game changer”.
Pour la première fois, les États européens ont accepté de s’endetter ensemble pour financer des subventions, et non de simples prêts. Mieux encore, la solidarité va jouer : chacun recevra selon ses besoins et remboursera selon ses moyens.
Pour l’Italie, cela devrait représenter une aide nette de l’ordre de 3 à 3,5 % de son PIB, d’après les derniers calculs de Bruegel.
Il faut bien prendre la mesure de ce geste de solidarité.
Comme le rappelle Jean Pisani-Ferry :
Un chiffre résume la situation : au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le plan Marshall a représenté en moyenne 2,5 % du PIB des Etats concernés.
Pour l’Italie, l’aide européenne dépassera donc le montant moyen de l’aide américaine perçue par les pays européens après la guerre.
Mieux encore : ces subventions s’accompagneront par ailleurs de prêts, à hauteur de 6,8 % du PIB au maximum. L’Italie pourra ainsi emprunter auprès de l’UE une centaine de milliards d’euros à un taux proche de celui de la France, pour soutenir son économie.
Pour la construction européenne, un tel effort est bien évidemment à double tranchant :
soit l’argent est bien utilisé et contribue à aider l’Italie à renouer avec la croissance, pour le plus grand bénéfice de tous ;
soit il est gaspillé et l’idée de solidarité européenne risque d’être durablement décrédibilisée, en particulier au sein des pays du Nord de l’Europe.
“Super Mario” supervisera le plan de relance italien
Dès lors, on comprend mieux pourquoi l’arrivée à la présidence du conseil italien de Mario Draghi a soulagé les marchés, ce qui s’est traduit par une réduction immédiate de l’écart de coût de financement entre l’Italie et l’Allemagne.
En effet, c’est à lui que reviendra la lourde charge de superviser l’élaboration du plan de relance italien, qui devra être soumis à la Commission européenne d’ici la fin du mois d’avril.
Après avoir exercé les fonctions de directeur général du Trésor italien et de gouverneur de la Banque d'Italie et de la BCE, il possède sans aucun doute une connaissance très fine problèmes structurels de l’économie italienne qu’il faudra surmonter pour retrouver la croissance.
Trois graphiques permettent d’en donner un aperçu.
Sur le front de l’emploi, l’Italie mobilise insuffisamment sa main d’oeuvre, en raison notamment d’un taux d’activité très faible chez les femmes. Il s’agit là d’un “réservoir de croissance” considérable : d’après les calculs d’Unicredit, rejoindre la moyenne de la zone euro serait suffisant pour booster la croissance italienne de 0,5 point par an d’ici 2030, même si seulement la moitié des nouveaux entrants trouvaient un travail. Ce sera d’autant plus important que la démographie italienne est très défavorable.
Sur le plan capitalistique, la rigueur budgétaire a pesé excessivement sur l’investissement public, qui est aujourd’hui négatif après prise en compte de la dépréciation. Nul doute que les financements européens permettront d’amorcer un rattrapage en la matière.
Enfin, sur le plan de l’innovation, “Super Mario” devra trouver les solutions pour que l’Italie renoue enfin avec les gains de productivité.
C’est probablement sur ce volet que sa mission sera la plus difficile, tant les verrous sont nombreux et politiquement difficiles à lever.
Buona fortuna, signor Draghi !