Prix de l'immobilier : bientôt la chute ?
Si une baisse des prix de l'immobilier paraît acquise, son ampleur et ses conséquences économiques et sociales restent à appréhender.
S’il y a bien un sujet économique qui passionne le grand public, c’est celui des prix de l’immobilier, qui représente 60 % du patrimoine net des ménages français.
Schématiquement, deux camps s’affrontent.
Valeur refuge vs bulle spéculative
Le premier camp, celui des “rassuristes”, met en avant la pierre comme “valeur refuge” : le logement serait un placement de “bon père de famille”, moins en proie à la spéculation que les placements financiers.
Poussée à l’extrême, la thèse peut parfois confiner à l’absurde - combien de fois ai-je entendu que les prix à Paris ne peuvent pas baisser, alors même qu’ils ont connu une chute de près d’un tiers dans les années 1990 ?
En face, le deuxième camp, celui des “pessimistes”, annonce depuis des années l’éclatement prochain de la bulle, avec un écho toujours garanti dans les médias.
Sur le fond, le principal argument avancé par les partisans de ce camp tient à la déconnexion observée entre l’évolution des prix et ses “fondamentaux”. Les prix ont augmenté beaucoup plus vite que les loyers et les revenus, ce qui serait insoutenable.
En première analyse, cet argument paraît fondé.
En effet, la théorie financière nous enseigne que la valeur d’un actif correspond à la somme des revenus futurs que l’on espère en tirer. Dans le cas du logement, il s’agit précisément des loyers et il paraît donc étonnant que les prix puissent durablement s’en écarter.
Mais cette analyse est en réalité incomplète car elle omet les variables financières.
L’importance des variables financières
Les économistes ont depuis longtemps mis en évidence que les prix de l’immobilier dépendent non seulement de variables “réelles” - les revenus, la démographie et les contraintes pesant sur l’offre (normes de construction, etc.) - mais aussi de variables “financières” - à savoir le taux d’intérêt et les conditions de crédit (apport personnel, durée du crédit, normes d’endettement, etc.).
Or, le marché du logement français a connu ces dernières décennies à la fois une baisse des taux d’intérêt et un assouplissement des conditions financières. C’est ce changement d’environnement financier qui explique la déconnexion constatée entre les prix et les loyers/revenus.
Sur le marché du logement, la baisse des taux et l’assouplissement des conditions de crédit constituent un choc de demande de grande ampleur. Ils permettent, à revenu inchangé, de renforcer la capacité d’achat des ménages, provoquant à la fois une hausse des prix et un découplage avec les revenus.
Comme l’a montré l’économiste Jacques Friggit, les primo-acheteurs peuvent aujourd’hui acquérir le même logement qu’en 2000 malgré la hausse des prix, à condition d’augmenter leur durée d’emprunt de 15 à 21 ans, ce qui correspond précisément à l’évolution observée.
En France, c’est donc le cumul de la baisse des taux et de l’assouplissement des conditions de crédit qui a soutenu la demande et tiré à la hausse les prix. A l’inverse, dans les pays comme l’Allemagne où l’endettement des ménages était déjà élevé et n’a pas continué à croître, la hausse des prix a été contenue.
Sur le plan financier, la déconnexion entre prix et loyers trouve également son origine dans l’évolution des taux.
En effet, si la valeur d’un actif (le logement) correspond à la somme de ses revenus futurs (les loyers), ces derniers doivent être “actualisés”. Pour convertir une somme d'argent “future” en une somme d'argent “actuelle”, on utilise le taux d’intérêt.
Concrètement, un même loyer touché dans 10 ans vaut davantage aujourd’hui si les taux d’intérêt sont à 1 % plutôt qu’à 5 %.
Pourquoi ? Parce dans un monde où les taux sont à 5 %, il suffit de placer 61 euros aujourd’hui pour obtenir 100 euros dans 10 ans, alors que 90 euros sont nécessaires si les taux sont à 1 %. Autrement dit, la valeur “actuelle” d’un loyer de 100 euros perçu dans 10 ans est d’environ 61 euros dans un monde où les taux sont à 5 % par an. En revanche, elle grimpe à 90 euros si les taux sont à 1 %.
Or, c’est peu ou prou une évolution en ce sens qu’a connu le taux sans risque américain entre 2006 et 2020, passant de 5 % en 2006 à 1 % en 2020. Le mouvement baissier a été plus impressionnant encore en Europe, où les taux obligataires allemands à long terme sont passés en territoire négatif pendant la crise sanitaire.
La déconnexion entre prix et loyers est donc logique dans un monde où les taux baissent, car cela renchérit la valeur “actuelle” des loyers futurs. Le prix des logements s’en trouve mécaniquement augmentée, toutes choses égales par ailleurs.
Plus généralement, cette évolution a poussé à la hausse la valeur de tout le capital existant, qu’il s’agisse d’actions, d’obligations ou d’immobilier. En France, si la valeur du capital a explosé ces dernières décennies, ce n’est donc pas parce qu’il confisque une part croissante des revenus générés chaque année - le partage de la valeur ajoutée est stable sur longue période - mais simplement parce que les taux d’intérêt ont baissé, ce qui a accru la valeur du patrimoine existant.
Et maintenant que les taux remontent ?
Il n’aura échappé à personne que nous sommes sortis de ce monde de taux toujours plus bas. Le retour de l’inflation et le resserrement monétaire qui l’accompagne ont provoqué ces derniers mois une remontée très brutale des taux réels anticipés.
Naturellement, cette évolution s’est transmise aux coûts de financement des États à long terme, qui servent de base pour la valorisation des actifs financiers et immobiliers. En France, le taux souverain à 10 ans a ainsi augmenté de 3 points.
Sans surprise, cette brutale remontée des taux a provoqué une baisse du prix des actifs existants valorisés quotidiennement sur les marchés.
La valeur des obligations d’État européennes de très long terme (15 ans et plus) a ainsi chuté de près de 40 % (!), comme le relève Denis Ferrand.
D’après la décomposition de la BCE, la baisse des actions liée à la hausse des taux sans risque est du même ordre, même si celle-ci a été compensée pour moitié par l’évolution de l’aversion au risque et des anticipations sur le niveau des dividendes et des rachats d’actions.
Il en va de même pour l’immobilier coté en bourse, à fort effet de levier et essentiellement commercial, qui a déjà baissé de 30 à 40 % en Europe selon les indices.
Bref, la remontée des taux a fait plonger la valeur de tous les actifs valorisés sur les marchés, conformément à ce que suggère la théorie financière.
La résistance en trompe l’œil des prix du logement
Dans ce tableau bien sombre, le logement semble faire exception.
Sur les deux premiers trimestres, son prix réel est resté quasiment stable, la hausse de l’indice du prix des logements neufs et anciens de l’Insee (+ 2,9 %) étant très proche de celle du délateur des prix à la consommation des ménages (+ 3,2 %).
Il n’y a pourtant aucune raison que le logement échappe à une correction à moyen terme si les taux restent en l’état.
En effet, les autres déterminants traditionnels des prix du logement ne paraissent pas de nature à contrebalancer l’effet baissier lié à la hausse des taux :
les revenus des ménages subissent le choc inflationniste, si bien que le pouvoir d’achat devrait stagner ou légèrement diminuer sur l’exercice 2022, renforçant les pressions baissières sur les prix ;
un assouplissement des conditions d’octroi des crédits immobiliers paraît exclu, le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) cherchant au contraire à les durcir pour prévenir un endettement excessif des ménages, ce qui là encore accentuerait la baisse ;
la contribution de la démographie à la demande est déclinante, du fait du ralentissement de la progression du nombre de ménages ;
seule une aggravation des contraintes sur l’offre paraît de nature à soutenir les prix sous l’effet de l’entrée en vigueur de nouvelles normes environnementales mais il faudrait que l’effet soit massif pour contrebalancer les autres facteurs.
Si les prix du logement ont pour l’instant résisté, il s’agit donc vraisemblablement d’un phénomène temporaire lié aux spécificités de ce marché, qui tient à deux facteurs.
D’une part, la remontée des taux obligataires se transmet très progressivement aux taux des crédits à l’habitat. En France, ce phénomène est accentué par les règles relatives au taux d’usure, qui encadrent l’évolution du taux d'intérêt maximum légal que les établissements de crédit sont autorisés à pratiquer. Entre janvier et août, les taux des crédits immobiliers ont ainsi augmenté près de deux fois moins en France que dans la zone euro.
D’autre part, la remontée des taux peut paradoxalement doper la demande à très court terme. En effet, les ménages qui ont un projet immobilier se dépêchent de le faire aboutir avant que le coût de leur emprunt ne monte trop. Ce phénomène a déjà observé en 1994 lors de la dernière remontée brutale des taux, comme le souligne @lolomart1 dans son récit passionnant du crash obligataire.
Mais les dernières données de la BCE sur les demandes de crédits suggèrent que ces deux “freins” à la baisse des prix sont déjà en train de s’estomper… posant ainsi la question de l’ampleur de la correction à venir.
Une correction dont l’ampleur est incertaine mais que l’on peut estimer à 15 % dans un scénario central
Pour tenter d’anticiper l’effet de la hausse des taux sur les prix de l’immobilier, il faut d’abord estimer l’impact de l’augmentation des taux souverains sur les taux des crédits immobiliers.
L’affaire est moins évidente qu’il n’y paraît car la période de taux très bas a entrainé un décrochage entre le coût de financement de l’État et le taux des crédits immobiliers. Ces derniers ont diminué depuis 2015 mais dans une moindre mesure.
De ce fait, la remontée des taux souverains pourrait se transmettre seulement partiellement aux taux des crédits immobiliers. Les économistes de La Banque Postale estiment ainsi le taux de transmission à environ 60 %, si bien que la hausse de 3 points des coûts de financement de l’État augmenterait de 1,5 à 2 points le taux des crédits immobiliers.
Concrètement, cela signifie que pour un emprunt de 200 000 euros sur 20 ans, la mensualité liée au crédit passerait d’environ 930 euros à 1 100 euros. A l’inverse, une même mensualité de 930 euros permettrait d’emprunter 30 000 euros de moins. Un choc de demande négatif conséquent.
On peut ensuite se fonder sur les estimations empiriques de l’élasticité des prix du logement au taux des crédits immobiliers pour obtenir un premier scénario. Pour un pays comme la France, elle se situe autour de 2,5-3 d’après les principales études disponibles (Trésor, FMI, Commission européenne, Caisse des dépôts, BCE, etc.). Au regard de ces estimations, on s’attendrait donc à une baisse modérée des prix, de l’ordre de 5 %.
Il ne s’agit toutefois pas de mon scénario central, pour deux raisons.
D’une part, la littérature théorique et les études empiriques suggèrent que plus le niveau des taux immobiliers est bas, plus les prix des logements sont sensibles aux variations de ces taux, car les effets d’actualisation sont plus prononcés. La BCE estime ainsi que l’élasticité des prix est deux fois plus élevée quand les taux sont bas, ce qui porterait donc la baisse anticipée des prix autour de 10 %.
D’autre part, une partie de la hausse des prix observée en France avant la remontée des taux pouvait paraître excessive et appeler une correction.
A l’issue de l’exercice 2021, la Commission européenne estimait ainsi que les prix de l’immobilier français étaient surévalués de l’ordre de 10 %, même si le modèle utilisé par la BCE considérait pour sa part qu’ils étaient en ligne avec les fondamentaux. Si l’on retient à la moyenne des estimations, on pourrait en déduire une perspective de baisse supplémentaire de 5 % environ.
Dans un scénario central, il me semble donc que la hausse des taux pourrait provoquer une baisse réelle des prix de l’immobilier de l’ordre de 15 % en France. Il ne s’agit bien sûr que d’un ordre de grandeur, l’incertitude étant très forte en la matière. Il constitue néanmoins un bon point de départ pour s’interroger sur les conséquences macroéconomiques et sociales qui en découleraient.
Un choc pour la croissance française, malgré l’effet protecteur du crédit à taux fixe
Au plan macroéconomique, le poids de l’immobilier pourrait laisser craindre le pire. En effet, il représente au sens large :
60 % du patrimoine net des ménages ;
une grosse moitié du crédit bancaire au secteur privé ;
40 % de l’investissement ;
7 % de l’emploi.
En pratique, l’impact d’une baisse des prix de l’immobilier passe par deux canaux principaux : la consommation et l’investissement des ménages.
Dans notre pays, le canal de la consommation est toutefois très faible, en raison des caractéristiques du marché du logement français. En effet, plus de 90 % du stock de crédits immobilier est à taux fixe, contre 25 % environ en Espagne et en Italie. En outre, la France n'a pas connu de développement du crédit hypothécaire mobilier, qui permet aux ménages de tirer parti de la hausse des prix de leur logement pour emprunter à d'autres fins. De ce fait, les variations des prix de l’immobilier n’ont quasiment aucun impact sur la consommation des ménages en France, ce qui permet par ailleurs de préserver le secteur financier en cas de choc.
Il en va très différemment dans les pays où l’endettement à taux variable a un poids plus important, provoquant une forte hausse de la mensualité de nombreux ménages.
Reste le canal de l’investissement immobilier des ménages, dont le poids s’élève en France à 155 milliards d’euros (6 % du PIB) et rassemble la construction de logements neufs, les dépenses d'entretien-amélioration des logements existants et les frais liés aux acquisitions dans le neuf et dans l'ancien (frais de notaire, d'architecte, etc.).
Pour la France, les estimations de l’élasticité de l’investissement des ménages aux taux d’intérêt sont malheureusement assez rares et divergentes. L’élasticité s’élève à 2 en France selon le Trésor mais à 15 en période de taux bas en zone euro selon la BCE. En retenant une estimation moyenne faute de mieux, on pourrait donc s’attendre à voir l’investissement immobilier chuter de 15 %, ce qui coûterait environ 1 point de PIB à la France. La baisse serait de même ampleur que celle observé entre 2007 et 2009 (- 16 %), lors de la crise financière.
Il s’agirait donc d’un choc important sur la croissance française, malgré l’absence d’effet direct sur la consommation.
Qu’en est-il maintenant des conséquences sociales ?
Un impact contrasté sur les inégalités
Sur le plan des inégalités, l’impact à court terme d’une telle évolution paraît plutôt favorable, bien que modeste :
les propriétaires-bailleurs ayant réalisé des investissements locatifs seront perdants mais il s’agit plutôt d’une population favorisée ;
les locataires, plus modestes, devraient pouvoir acheter plus facilement… mais uniquement pour la part de la baisse des prix qui n’est pas causée par la hausse des taux d’intérêt et le durcissement des conditions financières (environ un tiers dans notre estimation) ;
les propriétaires occupants sont assez indifférents aux évolutions des prix de l’immobilier : en cas de revente de leur résidence principale, ces derniers pourront se reloger à un prix qui aura lui aussi diminué ; sauf à devenir locataire, à déménager sur un territoire où les prix n'ont pas connu la même dynamique ou à acheter une surface très différente, la baisse des prix n’a pas d’effet pour eux.
Les conséquences seraient en revanche plus inquiétantes à long terme.
En effet, l’assouplissement des conditions de crédit couplé à la baisse des taux ont conduit à une rentabilité anormalement élevée de l’immobilier en France depuis 2000, comparativement aux autres classes d’actifs (actions, obligations…).
Or, l’immobilier, c’est l’actif par excellence des classes moyennes, tandis que le patrimoine des plus riches est d’abord composé d’actifs professionnels et financiers :
Plusieurs études ont ainsi mis en évidence que la hausse de la rentabilité relative de l’immobilier par rapport aux autres classes d’actifs a joué un rôle majeur pour contenir la concentration croissante des richesses en France. La part de la richesse concentrée entre les mains des plus aisés aurait été significativement plus élevée en l’absence de boom immobilier.
En la matière, la comparaison avec les États-Unis est assez éclairante. Si les inégalités de patrimoine ont moins progressé en France qu'aux États-Unis, c’est en raison de moindres inégalités de revenu du travail certes - mais aussi et surtout parce que les prix de l'immobilier n’y ont pas été aussi dynamiques ! Et comme l’immobilier français vient de perdre durablement ses deux “moteurs de croissance” (baisse des taux et assouplissement des conditions de crédit)…
Au-delà des conséquences économiques de court terme sur la croissance, la sortie de la période d’inflation immobilière exceptionnelle qu’a connu la France depuis les années 2000 pourrait donc bien renforcer la concentration croissante des richesses et le sentiment de décrochage des classes moyennes.
Merci pour cet article. Toujours très intéressant et pédagogique.
Bonjour, merci pour vos articles toujours instructifs. Une remarque naïve : le prix d'achat d'un bien immobilier est la somme des loyers futurs actualisés mais en prenant comme taux d'actualisation l'OAT à 10 ans ?
On aurait alors au numérateur la somme des loyers futurs que l'on peut approximer comme étant le loyer d'aujourd'hui augmenté de l'inflation, l'IRL suivant peu ou prou l'inflation en N-1 (https://fgeerolf.com/data/insee/IRL.html ) et au dénominateur (1+%OAT)^i. Dès lors, est-ce qu'on aboutit pas à une formule simplifiée qui reviendrait à avoir au numérateur (1+inflation)^i et au dénominateur (1+%OAT)^i ? Ce qui reviendrait à dire que le prix devrait théoriquement évoluer selon le rapport de l'inflation vs l'OAT ? Merci d'avance